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Par Flavie Desgagné-Éthier, Conseillère principale, Philanthropie & commandites institutionnelles chez Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ)

Alors que l’emploi est devenu le nerf de la guerre et que les gouvernements font tout pour attirer les entreprises sur leur territoire (avantages fiscaux, réglementation allégée), les géants du secteur privé imposent leurs normes, allant même jusqu’à écrire leurs propres lois.

Mais avec le pouvoir vient la responsabilité. Dans un contexte où la montée du populisme change la dynamique sociopolitique mondiale, de plus en plus de marques projettent une image de « repère rassurant » en s’affichant comme les leaders d’un changement social positif. Les marques s’invitent dans les débats de société, n’ayant pas peur de prendre des positions controversées, quoique courageuses, quitte à se mettre à dos une partie de leur clientèle. Pensons à la dernière campagne de Gillette contre la « masculinité toxique » ou encore aux prises de positions politiques de Nike avec sa campagne mettant en vedette le quart-arrière Colin Kaepernick, congédié pour ses prises de position antiracistes.

Pur altruisme? On peut en douter. À la suite de cette sortie médiatique, Nike a doublé ses revenus par rapport à la même période l’année précédente. Réputation, attraction des talents, fierté interne, fidélité des consommateurs, sentiment d’appartenance à la marque : les avantages liés à l’engagement social sont nombreux. Pourtant, les consommateurs n’ont jamais aussi bien détecté les informations trompeuses. Un message mal formulé ou un discours fort qui n’est suivi d’aucune action concrète sera jugé très sévèrement. Pensons à Pepsi qui a soulevé un tollé mondial avec sa publicité mettant en scène la mannequin Kendall Jenner au milieu d’une manifestation. Les internautes se sont empressés d’accuser la marque de récupérer les grands mouvements contestataires de l’histoire.

La communication doit se baser sur des actions concrètes et un engagement fort. Mais au-delà du discours, il est important de se demander comment optimiser l’impact social de l’entreprise. Bien que l’approche entrepreneuriale de l’investissement communautaire semble être une piste prometteuse, il faut d’abord améliorer la compréhension des grandes tendances sociales.

 

Les tendances de fond

+ d’attentes

Les consommateurs ne cessent d’élever leurs attentes, et les marques semblent l’avoir compris. Une récente étude de Deloitte menée auprès de quelque 10 000 millénariaux à travers 36 pays a révélé ceci : les jeunes travailleurs s’attendent à ce que les chefs d’entreprises agissent de façon proactive pour générer un effet positif sur la société – tout en restant attentifs aux besoins des employés. Les jeunes ont également l’impression que les entreprises et le secteur caritatif ont un impact plus positif sur la société (44 % et 59 % respectivement) que les leaders religieux ou politiques (33 % et 19 % respectivement). Ces résultats sont cohérents avec ceux du Baromètre de confiance Edelman, lesquels révèlent que 66 % des participants à l’étude pensent que les dirigeants des grandes entreprises devraient prendre les rênes de l’évolution sociétale plutôt que d’attendre que le gouvernement impose des changements. La responsabilité sociale des entreprises n’est pas une simple tendance; dans un contexte de conscientisation sociale et environnementale accrue, c’est la norme.

 

+ de besoins                                 

Selon le dernier rapport d’Imagine Canada, un déficit social majeur guette le Canada d’ici dix ans. L’augmentation des inégalités, le vieillissement de la population, les besoins des immigrants et les conséquences des changements climatiques seraient en cause. Selon les projections, d’ici 2026, le secteur communautaire aura besoin de 25 milliards de dollars supplémentaires – soit environ le double de ses revenus actuels – pour répondre aux besoins de la population en matière de services.

 

+ stratégique

Bien que les somptueux bals de bienfaisance réservés à l’élite soient encore répandus dans le monde de la philanthropie, l’investissement communautaire est en pleine mutation. La philanthropie relationnelle fait place à l’investissement stratégique, où la proactivité, l’incidence sur la marque et les résultats concrets pour la communauté deviennent les nouveaux facteurs décisionnels. La tendance à concentrer les dons dans une même cause plutôt que de les distribuer à plusieurs organismes dénote une réelle volonté de résoudre efficacement une problématique sociale donnée. En effet, selon l’enquête 2018 sur les dons d’entreprises d’Imagine Canada, l’efficacité des investissements est un aspect de plus en plus important. Cette efficacité se mesure d’une part par l’engagement de l’entreprise (image, recrutement, mobilisation et rétention des employés) et d’autre part par l’impact des dons au niveau social (résultats tangibles générés).

Pour les professionnels des secteurs de la philanthropie, des commandites ou de la responsabilité sociale d’entreprise, deux questions fondamentales se posent : quel est le type d’impact recherché, et comment peut-on s’assurer de le maximiser.

 

Une approche entrepreneuriale de l’investissement communautaire

L’approche entrepreneuriale de l’investissement communautaire est une avenue prometteuse. Par sa nature, l’investissement communautaire privé est plus agile, plus adapté à la prise de risques et moins rigide que le sont les subventions publiques. Cette approche permet de déceler les occasions favorables et d’investir dans des projets d’innovation sociale qui n’ont pas encore trouvé leur financement dans les fonds publics.

 

#1 – Agir comme un investisseur

Pour ce faire, il faut d’abord revoir le processus d’analyse des demandes d’aide financière. Les projets doivent être évalués de la même façon qu’un investisseur analyse le plan d’affaires d’une entreprise en démarrage, c’est-à-dire en portant une attention particulière au potentiel de rentabilité sociale, sans s’attarder aux frais d’administration, de salaires ou de recherche et développement. Le secteur communautaire fait face aux mêmes enjeux que le secteur privé : rétention de la main d’œuvre, virage numérique et attraction de la clientèle. Comme l’affirme Dan Pallotta, activiste et conférencier américain de renom, il faut changer notre façon de voir la philanthropie. Pourquoi évaluons-nous les organismes en fonction de leurs dépenses plutôt que de leur impact social potentiel?

 

#2 – Comprendre l’écosystème

Cette approche, qui utilise une terminologie empruntée à la nouvelle économie, nécessite la création de véritables partenariats avec les organismes locaux. Ainsi, l’investisseur social doit s’assurer de bien comprendre les besoins sur le terrain, d’agir en concertation avec les différents intervenants et de créer des occasions de réseautage pour les investisseurs. En résumé, il doit développer l’expertise nécessaire dans son secteur d’investissement.

 

#3 – Humaniser la reddition de compte

Finalement, il faut revoir le processus de reddition de compte en donnant le droit à l’erreur. Des contacts plus fréquents avec les organismes et une reddition de compte plus humaine permettent de créer une relation de confiance et un climat d’ouverture qui vont au-delà des formulaires standardisés et des rapports annuels. Il devient alors plus facile d’aborder les embûches, ou même les échecs, afin de mieux réorienter les investissements, trouver de nouvelles possibilités, et maximiser l’impact.

L’atteinte du parfait équilibre entre les besoins de la collectivité et une stratégie d’affaires donnée est la pierre angulaire de l’investissement communautaire stratégique. Comme l’affirme Rob Reich, auteur et professeur de sciences politiques de l’université Stanford, « la philanthropie devrait être un outil d’innovation et de prise de risque plutôt qu’un exercice de pouvoir ».

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